« Tâches ménagères »

Prendre ses responsabilités dans les tâches ménagères (en tant qu’homme pro-féminisme)

Comme beaucoup d’hommes l’ont expérimenté, il n’est pas évident ou naturel de « prendre » « sa » « place » dans le « travail ménager » (tous les mots de cette phrase sont problématiques, on va y revenir!).

Et nombreuses sont les scènes qui voient l’épouse entrer en conflit avec son compagnon, alors qu’il a voulu prendre une part dans le ménage, en parlant d’échec, de désorganisation et de perturbation, alors que c’est à une forme de reconnaissance qu’il s’attendait…

Trois parties :

1/ Le contexte pour le genre masculin

2/ Le contexte pour le genre féminin

3/ Comment faire : prendre sa part et prendre sa responsabilité

1/ Le contexte pour le genre masculin

Ce n’est pas évident pour le ‘genre masculin’. Souvent d’ailleurs on parle de ‘prendre sa part’, partant d’un point de vue d’équité. Et non de ‘prendre le travail ménager à sa charge’ : comme responsabilité propre ou compétence propre. Cela ferait mauvais genre ! Ce serait aller à contre-genre ! Certains conjoints le font, bien sûr (et ils liront ce texte en faisant de la résistance) ; mais il n’est pas au programme de transférer la responsabilité à l’autre genre.

Donc, prendre une part. Pour autant, la part prise est variable. Tel ami retraité, dont la femme travaille encore, me disait : « on a, ma femme et moi, convenu il y a longtemps que le dernier levé ferme le lit, et c’est donc moi ; après le déjeuner, je passe vite la serpillière avant de partir chercher le pain et le journal, ainsi je trouve le sol sec en revenant ; je prends le repas de midi en charge, car son temps est compté. Par contre, je n’ai repassé qu’une fois dans ma vie, et je lui avais annoncé que ce serait mon seul jour ». Trois motivations distinctes donc, ou trois ‘critères’, pour prendre ‘des parts’ du travail ménager : équité, aspects pratiques ou organisationnels, préférence personnelle.

La part prise est variable, et c’est le plus souvent l’homme qui affirme ses choix. L’un refusera de pousser une poussette, l’autre refusera la vaisselle mais « adore s’occuper des petits enfants », un troisième affirmera que le repassage le détend, etc. Et très vite, vient l’explication par la ‘nature’ de l’homme, ce qu’on appelle l’essentialisme : « le cerveau des hommes est ainsi fait qu’ils doivent se concentrer sur une tâche, alors que la femme peut combiner plusieurs activités ».

On va voir que cette assertion est fausse : c’est une question d’apprentissage et non de ‘nature’.

Mais il faut d’abord souligner cette approche masculine du choix des tâches. Il est usuel pour un homme de souligner qu’il choisit, qu’il aime telle ou telle tâche. Son plaisir est l’étalon de ses choix d’activité. Et non le devoir. Il « prend sa part » au sens strict du terme : sa part de gâteau ! L’homme a quelques devoirs ménagers traditionnels et symboliques (dans notre société occidentale, et venus du fond des ages), tels que griller la viande, choisir et servir le vin, etc. Et quelques tâches annexes au ménage, tels l’entretien de la voiture, parfois une tâche de type administratif (ce contexte annexe a beaucoup évolué). (Post-scriptum : une affirmation basée sur la conception bourgeoise ou petite-bourgeoise!  Ainsi, les couples ouvriers peuvent avoir une répartition logique : pendant qu’elle fait à la maison sa deuxième journée, il fait une deuxième journée de travail rémunéré : bricolage, travail au noir, etc. ; il faut toujours avoir aussi en vue la division des classes quand on parle de féminisme, ainsi que nous l’apprend SKEGGS – un livre que je devrais un jour commenter).

Et la responsabilité du travail ménager dans son ensemble n’est pas vue comme une compétence ou un plaisir masculin. Le genre masculin a une inscription sociale forte : les activités masculines se font en général en groupe et sont contrôlées par le groupe. Le plaisir est souvent pris en groupe.

Autant dire que l’homme entre dans le travail ménager avec une posture particulière : il fait un effort de sortir de son rôle genré, il veut du plaisir dans la corvée et beaucoup de reconnaissance, et un effort limité et partiel. Cas ‘type’ : papa, prenant sa part, va faire une merveilleuse mousse au chocolat, toute la famille va s’extasier devant, et maman (qui aura fait tout le repas, sans reconnaissance aucune) n’a plus qu’à nettoyer le chantier mis en désastre par papa.

2/ Le contexte pour le genre féminin

Remarque préliminaire. Bien des lectrices auront bondi à la phrase « Et la responsabilité du travail ménager dans son ensemble n’est pas vue comme une compétence ou un plaisir masculin. » C’était volontaire. Suis-je donc en tant qu’homme, qualifié pour aborder ce second paragraphe ? Pas sans avoir écouté. Je voudrais énoncer, après discussions avec ma compagne et d’autres femmes, une série de choses qui me paraissent utiles à savoir par les hommes, et souvent ignorées de nous ; alors qu’elles seront plus banales pour les femmes. Je ne veux pas donner de « mec-xplication » sur la situation pour dire ce qu’elles devraient faire, mais participer à quelques constats.

J’ai été très frappé par deux remarques de ma compagne.

D’abord celle-ci : « J’ai entendu dire que la conception du menu du repas occupe la moitié du cerveau humain (durant la journée) ». Je ne peux que confirmer que c’est une réalité encore bien pire du côté masculin : l’homme, ayant choisi de manipuler des concepts qu’il juge plus importants, n’arrive presque jamais à construire, à partir de ce qui est dans le frigo, des possibles menus. Il va sans doute, à partir d’une idée et plus souvent d’une envie (« du lapin ! »), passer au magasin pour revenir avec les ingrédients nécessaires. Il ne pourra improviser, il n’en a pas la culture, ni la mémoire. Recette pré-rédigée et pré-quantifiée, sans surprise, sans grande créativité. Et souvent un seul plat, sans entrée ni potage ni dessert…

Prendre effectivement la responsabilité du menu (1°) et sa réalisation (2°) et en utilisant les ingrédients disponibles (3°) et sans s’énerver (4°) et en étant prêt à l’heure (5°) et calme et relax et accueillant (6°), est un apprentissage long, persévérant, et qui s’entretient ! D’abord se poser les bonnes questions (vient de paraître un livre de cuisine pour hommes qui porte ce sous-titre et qui n’est pas inutile… à condition d’apprendre à s’en passer!). Cette compétence acquise, à laquelle les femmes s’attellent à une certaine époque de leur existence, est passée sous silence, comme un « don naturel » qui vient aux femmes.

On peut étendre cette réflexion à l’ensemble des tâches ménagères : toutes comportent une réflexion prévisionnelle, une organisation du temps, une souplesse adaptative, une obligation de résultat… largement ignorée, difficile à atteindre et extrêmement contraignante. La capacité à savoir combiner différentes tâches avec ce même « cahier des charges » est très simplement du grand art.

Quand on parle du « temps donné par les hommes au travail ménager » et d’une progression (très faible) de ce temps, on n’aborde aucunement cette question. Ce temps n’est jamais qu’une aide ponctuelle, faible, et pouvant désorganiser l’ensemble du travail ménager !

Premier message aux hommes : tu dois ‘aider’ en prenant l’ensemble d’une tâche en charge durant un temps donné. Rangement et poussières et vitres et sols pour une semaine, c’est autre chose qu’une mousse au chocolat.

Ensuite cette autre observation : « Je voudrais que tu sois plus attentif à ranger ton désordre de papiers, de souliers, d’outils, de livres, de vêtements ; et ne me dis pas que le rangement te paraît inutile : de toutes façons, c’est la femme qu’on culpabilisera si le ménage paraît ‘mal tenu’ ». Ce discours pointe un ‘contrôle social’ qui peut être extrêmement prégnant (les femmes invitées en sont les premières juges – à commencer souvent par la belle-mère, la mère de l’homme ! et les autres sans doute dans une même posture : ‘fais-tu ce qu’il faut pour cet homme qui est mon fils, qui est ton homme ?’). Contrôle social qui est pourtant totalement ignoré de l’homme. Il lui arrivera de se plaindre d’un dysfonctionnement ménager (‘mes affaires de foot ne sont pas repassées ?’) et il pourra se réjouir d’une belle table pour accueillir les amis ; il pourra lui-même juger qu’une maison est ‘mal tenue’ par une femme (et être bien plus tolérant pour celle d’un homme seul). Mais il ne sentira sans doute jamais l’effet d’un contrôle social. (Relisez les critères de mon ami retraîté évoqué ci-dessus : aide, efficacité, plaisir – mais rien qui ne dépasse les conventions de couple. Il pourrait même vous accueillir avec l’obligation des patins pour vous forcer à respecter son travail).

Je pense que cette observation nous renvoie à la répartition des rôles par le genre. Des enjeux, des devoirs ‘sociaux’ s’imposent à la femme, et lui reviennent donc en réputation.

Ce point est important et intervient dans la considération qui est donnée à l’aide masculine. Si l’homme « prend une part » avec une dose d’autonomie, de liberté affirmée, il vient perturber le cadre du « genre féminin » (lisez : la place assignée au genre féminin) en ne respectant pas ses critères. Et il conteste un certain « pouvoir » qui est octroyé à la femme, sans pourtant prendre en compte toutes les obligations qui y sont liées. Il est ‘irresponsable’ tant du point de vue de la tâche que du point de vue de la réputation sociale. C’est tout sauf une aide !

Avec ce constat, on doit convenir que l’idée même de mesurer le temps que l’homme peut consacrer à aider aux taches ménagères est presque absurde : l’équité dans le poids des tâches est très différente que la simple équité dans le travail presté, et l’homme atteindra difficilement une part équitable de ‘travail d’exécution’ sans mettre en cause la cohérence de l’organisation ménagère.

3/ Comment faire : prendre sa part et prendre sa responsabilité

Je ferai donc cette recommandation aux hommes qui veulent travailler à la transformation de leur genre au niveau du travail ménager : prenez la responsabilité de toute une tache ménagère, menez-là à bien durant un temps suffisant pour accumuler un début de compétence et entretenez celle-ci pour qu’elle fasse boule de neige. Choisissez la tâche pour sa simplicité d’organisation et non pour le plaisir que vous y prendrez et pour la reconnaissance que vous espérez !

La plus simple est souvent la moins gratifiante : ranger, ranger, ranger, dépoussiérer, passer l’aspirateur, laver les sols, laver les sanitaires, laver le trottoir et les poubelles diverses, bref, tout ce qui ne se voit pas et est à faire sans cesse.

Plus technique, mais ingrate encore : ramasser le linge, le trier, le laver, le sécher, le repasser, et le répartir dans les bonnes armoires… la veille du jour où il sera attendu ! Un apprentissage dont les erreurs se paient souvent cash (racheter, si possible à l’identique…) : erreurs de tri, erreurs de programme, erreurs d’organisation.

Et discutez longuement avec votre partenaire sur votre intention, ses attentes, et l’adaptation progressive à mettre en place. Fréquemment aussi. Car ces modifications ne seront pas qu’organisationnelles, mais aussi impliquant la symbolique des deux « genres » en cause. Les relations de couple seront clairement en jeu. L’épouse pourra décider qu’elle apporte le bouquet de fleur qui magnifie le résultat (en se l’appropriant). Bref, la mousse au chocolat à l’envers, cela peut exister aussi.

Durant l’apprentissage, la femme habituellement dispensera les consignes, les trucs, les tours de main, les contraintes particulières des personnes de la famille, etc. L’élève doit respecter le maître, il doit mériter son enseignement ! Il doit trouver ses méthodes d’apprentissage mais respecter les consignes. Vaste programme…

Ce n’est qu’au bout de l’apprentissage de plusieurs tâches prises en charge et combinées par l’homme qu’un certain ‘partage des taches et du travail’ deviendra plus spontané entre femme et homme, et que les luttes de pouvoir symbolique seront relativisées.

Et tant que la domination symbolique du masculin organisera encore nos sociétés, l’homme voulant travailler à déconstruire son genre devra être attentif à laisser la place à certains privilèges compensatoires qui sont octroyés socialement à la femme, et ne pas chercher à les contester ou les dévaloriser.

Ces derniers paragraphes peuvent choquer. Tant l’égo des hommes, qui se demande pourquoi devoir respecter soudain un privilège féminin. Que l’égo des femmes, qui estimera que le simple partage des taches ménagères ne permet pas d’annoncer que les luttes de pouvoir symbolique (contre la domination masculine) seront relativisées.

Il est bien temps que je m’arrête donc. Je ne peux aborder seul, ni dans un ‘entre nous’ masculin, ces aspects du conflit de couple hétérosexuel… J’ai déjà pris quelques risques en mettant sur papier ce résultat.

Chester