Ainsi, après un intense mouvement de dénonciation par de nombreuses femmes, Harvey Weinstein, un homme bien ordinaire, a été condamné « par la justice ».
Quand nous employons cette formulation, nous faisons appel à une valeur importante de nos sociétés : l’idée de la gestion juste des violences entre les humains est gérée par une institution séparée, professionnelle et indépendante ; elle ne s’applique pas par une vengeance personnelle ou clanique (oeil pour oeil), ou par un lynchage collectif sans procédure de jugement, mais selon des règles qui sont applicables au sens de la loi, et au sens de la coutume de l’époque (les condamnations au sortir de la guerre ont été plus répressives, elles ont été revues et adoucies par la suite) et selon des procédures qui font respecter les droits de se défendre contre l’accusation publique.
Est-ce ici bien le cas ? Les hommes ont-ils à subir les foudres de la justice, comme les autres ? On peut en douter.
Il faut avouer que le déroulement des procédures en justice étasunienne a de quoi dérouter. On apprend ainsi que Harvey Wenstein a seulement été poursuivi pour deux chefs d’accusation, mais que d’autres motifs plus graves ont été abandonnés, « faute d’unanimité du jury » ! Le jury l’a disculpé de trois des cinq chefs d’accusation, les plus sérieux, dont le « comportement de prédateur ». Il semble bien que les accusations doivent obtenir l’unanimité d’un jury et que tout doute, bien plus que de devoir « profiter à l’accusé » pour un acquittement au terme d’un procès (comme en Europe) sert ici à écarter toute poursuite plus approfondie et dédouane le suspect avant le début du procès. C’est ainsi que Harvey Wenstein n’a été poursuivi que pour deux faits, tandis que 80 plaignantes attendaient justice. Ce rendu de justice était nécessaire pour qu’elles puissent enfin tourner la page de ce qui s’est passé, faire sortir cet homme menaçant de ce placard non encore vidé, et mettre en place enfin le traumatisme vécu.
Pour la justice, les faits rassemblés et incontestables permettaient néanmoins de condamner lourdement cet homme et ainsi le but de la justice et de la société est atteint. Harvey Weinstein a été condamné à 23 ans de prison (il encourrait jusqu’à 25 ans). A 67 ans, c’est long. Enfin, cela se discute. En Europe, les peines sont toujours adaptées durant l’emprisonnement : la loi sur l’enfermement estime qu’il faut toujours donner au condamné l’espoir d’une réduction de peine, ce qui instaure un meilleur espoir de ‘bonne conduite’ en prison, de meilleur prise de conscience de sa responsabilité, et de meilleur espoir de réinsertion, tous objectifs socialement compréhensibles. Weinstein pourrait réclamer une sorte de réduction de peine : l’avocat de l’intéressé annonce la couleur quand il souligne qu’il a des arguments à faire valoir :
Depuis octobre 2017, leur client avait perdu sa femme, qui l’a quitté, son emploi, sa société (The Weinstein Company) et faisait encore face à des manifestations d’hostilité constantes. La défense avait mentionné aussi ses deux jeunes enfants, de 6 et 9 ans. « Il se pourrait que je ne revoie jamais mes enfants« , a dit mercredi Harvey Weinstein, qui s’exprimait pour la première fois depuis le début du procès. Durant son allocution, il s’est présenté en victime du mouvement #MeToo. « J’étais le premier exemple et maintenant, il y a des milliers d’hommes accusés« . « Je suis inquiet pour ce pays« , a-t-il expliqué.
La défense avait plaidé que toute autre peine que le minimum légal (5 ans, moins les réductions de peine !) équivaudrait à une condamnation à perpétuité, vu l’age du condamné ! La défense annonce déjà qu’elle va interjeter appel, mais cela ne suspend pas l’exécution de la peine qui vient d’être prononcée. Le condamné a obtenu un placement en hôpital, au vu de son état de santé : celui-ci parait s’être dégradé avec les poursuites. Alors qu’il était resté en très bonne santé (sexuelle !) jusque là.
Il faut ajouter, comme l’a dit la procureur, que :
elle attendait du juge une peine qui reflète « la gravité des crimes du condamné, son absence totale de remords (…) et la nécessité de le dissuader, lui et d’autres, de commettre de nouveaux crimes« . A l’audience, mercredi, elle a de nouveau rendu hommage aux victimes qui ont témoigné lors du procès. Sans elles, Harvey Weinstein « n’aurait jamais pu être stoppé« . Elle a souligné « l’absence d’empathie » et « l’égoïsme » du producteur indépendant.
Harvey Weinstein n’a jamais reconnu publiquement autre chose que des relations consenties avec les femmes qui l’accusent et, de fait, n’a exprimé aucun remord ni présenté d’excuses. Et il faut rappeler qu’il a tout fait pour échapper à la dénonciation. Il a fallu l’obstination de quelques journalistes, pour que l’affaire éclate, et l’implication de nombreuses femmes pour que le cas ne soit pas enterré :
L’affaire Weinstein a été déclenchée après la publication par le New York Times, en octobre 2017, de témoignages de femmes accusant Harvey Weinstein, alors patron du studio Miramax – l’un des plus grands producteurs de films de notre époque -, de harcèlement sexuel pendant près de trois décennies. Le journal révélait par ailleurs qu’il avait passé des accords avec au moins huit femmes pour acheter leur silence. Mais on sait aussi que des journaux avaient au départ renoncé à sortir cette affaire.
Cinq jours plus tard, le magazine The New Yorker citait plusieurs femmes, dont l’actrice italienne Asia Argento, accusant le producteur de viol ou d’agressions sexuelles. Ces articles ont conduit à de nombreux autres témoignages de femmes, parmi lesquelles de grandes stars hollywoodiennes telles que Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie et Lupita Nyong’o. Celles-ci ont également accusé Harvey Weinstein de comportements indésirables et d’abus sexuels. Plusieurs femmes ont en outre révélé qu’elles n’obtenaient plus de rôle dans les films du producteur américain parce qu’elles refusaient des relations sexuelles avec lui.
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Je reviens sur ces faits (je me suis appuyé sur un article de la RTBF qu’on trouvera ici) parce qu’il faut selon moi aussi s’interroger sur les relations de Roman Polanski avec « la justice ». Dans ce cas, j’ai surtout consulté la page Wikipedia.
Roman Polanski a vu au départ, la plupart des charges contre lui être abandonnées. Il avait en 1977 largement abusé d’une fille de 13 ans qu’il avait droguée… Mais la mère de S. G. a souhaité que le procès ne soit pas public. Et l’acteur a fait la même demande (pour sa propre réputation). Cela a amené le juge à réduire largement les chefs d’accusation, afin que cette non-publicité soit légale. Et de ce fait, il a prononcé une peine de prison ridicule de 92 jours de prison, dont Polanski a exécuté la moitié. Fin du premier acte.
Par la suite, le juge a souhaité à nouveau juger le cas, sans doute au vu du tollé provoqué dans les mouvements féministes. Et le juge pouvait effectivement craindre pour sa réélection ! Car les juges sont élus aux USA.
Dans de nombreux épisodes suivants, le juge a été désavoué, la justice américaine a reconnu qu’elle avait été déloyale et que Polanski ne pouvait être rejugé ; elle a seulement maintenu l’obligation pour l’acteur de se présenter devant le juge pour refermer le dossier. Depuis, l’Etat des Etats-Unis a maintenu cette intention, ce qui a amené la Suisse, puis la Pologne à emprisonner l’acteur et à le maintenir en résidence surveillée avant de rejeter tous deux l’exigence étasunienne. La jeune fille, SG, mariée depuis, a aussi souhaité que cette affaire soit enterrée; car la procédure et l’acharnement médiatique ont pourri sa vie, bien plus que les faits qu’elle a eu à subir, pour lesquels elle souhaitait une condamnation, mais ensuite un oubli.
Dans cette affaire, Polanski a aussi échappé à une procédure judiciaire normale (c’est son droit) et il a dédommagé financièrement la jeune femme. Mais il s’est abrité derrière cette justice amoindrie jusqu’au ridicule pour se protéger d’une telle procédure normale. Il s’est ainsi satisfait d’une culpabilité qui ne correspondait pas aux faits, et il n’a plus voulu rien publiquement reconnaître : il se présente alors lui aussi comme victime d’un acharnement judiciaire et médiatique (comme sa victime, fille mineure). Et le fait qu’il ait choisi de réaliser un film sur une « erreur judiciaire » telle que l’affaire Dreyfus, sous le titre « J’accuse » va dans ce sens de la construction d’une autre vérité que la vérité des faits, qu’il avait bien dû reconnaître au départ.
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Deux cas, et deux affaires où les accusés ont pu échapper à une complète Accusation et de ce fait à une plus lourde condamnation. Dans les procès qui sont tenus en Europe, on entend aussi de nombreuses raisons pour « comprendre » l’accusé, pour s’émouvoir du traumatisme que la procédure judiciaire lui crée… Comme si les hommes avaient accès à une justice particulière, la justice des hommes, avec une solidarité masculine et des privilèges octroyés aux hommes , d’autant plus s’ils sont puissants. Il ne faut pas perdre cela de vue, même si on doit se réjouir que le premier homme dénoncé par le mouvement #Me Too n’ait pas échappé à une condamnation judiciaire significative.