Les mâles humains sont les plus brutaux envers leurs femelles (parmi les espèces de grands singes) – suite et fin

Ne pouvant produire une synthèse de ce livre très touffu (pour rappel, Pascal PICQ, Et l’évolution créa la femme, Odile Jacob, 2020), j’ai seulement relevé quatre phrases ou paragraphes du chapitre de conclusion, et les ai commentées à ma façon.

Au terme de notre enquête parmi les singes et les espèces fossiles, l’évolution du côté des femmes donne une image peu conforme à l’idée d’une évolution triomphale de l’homme marchant vers la civilisation. L’espèce supposée surmonter les contingences de la nature, s’émanciper du déterminisme naturel où sont engluées les autres espèces et s’améliorer n’a manifestement pas emprunté le meilleur chemin – si ce n’est du point de vue des intérêts des hommes et de la domination masculine. Dans de nombreuses sociétés humaines, les formes de coercition dépassent en violence physique ce qu’on observe chez les chimpanzés et y ajoutent des formes psychologiques et symboliques….

J’intercale ici, comme plus précis, la définition de l’antagonisme sexuel (comme principe d’organisation sociale) selon le lexique de l’auteur : « Systèmes sociaux dans lesquels les femelles se trouvent soumises à toutes les formes de domination par les mâles : déplacements, agressions redirigées, accès aux nourritures comme aux lieux de repos les plus sûrs, intimidations, violences subies [infligées] par un mâle ou des mâles coalisés… Chez les humains, l’antagonisme se renforce au moyen d’injonctions verbales, de termes péjoratifs, d’insultes, de discours visant à inférioriser, de la dévalorisation de toutes les activités féminines et de corpus idéologiques riches de toutes formes d’interdictions et de discriminations sociales, économiques, religieuses, scientifiques, politiques… » (p.426)

… Les grandes reconstitutions encore courantes de l’espèce humaine participent de cette coercition symbolique, rajoutant une justification pseudo-symbolique aux constructions idéologiques de l’antagonisme sexuel élaborées dans tous les domaines de la pensée (cosmogonies, mythes, religions, philosophies, littérature, histoire, politique, etc.). (P. 408-09).

Cette première citation est importante car elle nous appelle à rompre avec l’idée d’une évolution positive, progressiste, « civilisatrice ». L’auteur insiste sur le fait que nous en savons très peu sur ce choix d’un antagonisme accru, qui s’est fait après de nombreux systèmes sociaux plus ou moins égalitaires et en tous cas très divers. Et elle nous invite à penser une société dont l’antagonisme sexuel serait amoindri volontairement, collectivement. Dans les comportements et dans les idéologies.

***

Comme l’écrit Diane Rosenfeld (Sexual coercition, patriarchal violence and law, 2009), la société et la loi ne doivent plus considérer que les violences masculines sont des dysfonctionnements, des cas de violence qui seraient autant de déviances par rapport à la société, comme toutes les formes de délinquance et de crime. C’est un fait de culture et de société, la conséquence d’une histoire anthropologique, idéologique et sociale, donc un enjeu de civilisation. Dans notre histoire récente, les idéologies de la domination masculine se sont parées d’une forme de modernité, du Code Napoléon aux Trentes glorieuses, occultant deux siècles de coercition masculine au nom d’une certaine idée du « progrès », amplifié par la révolution industrielle et le premier âge des machines, dominé par les hommes. Nous y sommes encore. (P.418-19).

Je souligne cette idée que les violences masculines ne sont pas des déviances individuelles, à réprimer au cas par cas, mais un fait de culture et un enjeu de civilisation. Le combat des femmes pour ne pas se taire, porter plus souvent plainte aux autorités, dénoncer publiquement les violences (#Me Too, etc.) doit trouver une autre issue que la simple répression judiciaire, déboucher collectivement sur un « régime de prohibition » sociale. J’emploie ces mots à dessein. Nous avons l’habitude de donner un grand prix à nos libertés. Et nous acceptons plus ou moins difficilement des prohibitions, tels celles de l’alcool et autres drogues, du tabac, du comportement avec un véhicule (casque de protection, ceinture de sécurité, limitation de vitesse), de la protection contre des virus épidémiques. Il faut ici s’en prendre à tous les hommes, à leur conception de leur liberté au détriment des femmes, à leur privilège de dominateur. Dans le cœur des hommes, il y a souvent le sentiment de « savoir se maîtriser » dans ses addictions, ses instincts. Nous avons un « code de comportement », non écrit et très vague, qui nous autorise à approcher les limites. Et nous nous considérons comme les seuls juges de nous-mêmes. Les excès sont considérés par nous comme rares, alors que ce n’est pas du tout le cas. Quand l’appareil répressif s’en prend à un homme violent, nous ne nous sentons pas concernés, oscillant entre le « pas de chance » (solidaire, permissif) et le mépris ou l’exclusion. C’est donc l’idéologie de la virilité qui doit être renversée, rendue obsolète et sans valeur. Déconstruite !

***

B. [Barbara] Smuts établit six facteurs qui participent de la coercition masculine dans les sociétés humaines. Elle distingue :
– le fait d’empêcher ou d’entraver la coalition de femmes, notamment à cause de la patrilocalité ;
– l’aptitude des hommes à constituer des groupes organisés pour s’assurer toutes les formes de pouvoir, dont le monopole des relations extérieures (chasse, commerce, guerres…) ;
– le contrôle des moyens de production et de redistribution ;
– l’existence de statuts inégalitaires économiques, politiques et sacrés qui permettent à des hommes d’accumuler des privilèges et des femmes, tout en exerçant une coercition sur leur sexualité ;
– les comportements des femmes qui favorisent leur contrôle comme ressource et de leur sexualité par les hommes ; en lien avec un dernier facteur :
– l’invention de puissants systèmes discursifs et idéologiques, allant de la soumission à l’acceptation, qui justifient toutes les formes de coercition, tout en incitant les femmes à y reconnaître les raisons de leur condition. (B. Smuts, The evolutionnary origins of patriarchy, Human Nature n°6, 1995).
Si, comme on l’a vu, seules les sociétés humaines reposent majoritairement sur des organisations patrilinéaires et patriarcales inconnues chez les autres espèces, même les plus proches de nous et patrilocales, alors ces six facteurs constituent un propre de l’homme coercitif. (P.420-21).

Ce paragraphe paraît très technique. Il est très évocateur ! Notre espèce a rajouté à la « patrilocalité » (le fait que les femelles partent en « exode », libre ou plus souvent imposé !, changent de groupe et doivent s’y intégrer, tandis que les mâles restent toute leur vie dans leur groupe natal), la patrilinéarité (insistance sur la relation père-fils explicite) et le patriarcat (domination par des mâles apparentés, alliés).

De cette liste de déterminants, on peut induire des « devoirs de déconstruction » :
– favoriser la coalition des femmes, éventuellement en favorisant la ‘matrilocalité’ ;
– désorganiser les coalitions d’hommes dans les institutions (politique, police et armée), dans les métiers et professions, et dans la vie sociale (églises et congrégations religieuses, clubs de chasse, pêche, sport…) ;
– réduire le pouvoir masculin sur la répartition des richesses ;
– réduire l’inégalité des statuts économiques et religieux ;
– modifier le comportement des femmes qui incline à se laisser contrôler et exploiter sexuellement ;
– modifier ces « puissants systèmes idéologiques ».

Plus concrètement, je vois là des tâches où des hommes peuvent jouer un rôle précurseur :
– déjouer ou affaiblir la patrilinéarité en adoptant le nom propre maternel en priorité pour l’enfant ;
– favoriser les réunions réservées aux femmes au lieu de les contester ;
– s’investir dans la lutte des classes, dans la réforme fiscale, dans la laïcité (comme renvoi des religions à la sphère privée),
– etc…

Mais il faut dire aussi de se méfier de constituer une nouvelle coalition d’hommes « pour la bonne cause », une nouvelle secte certaine de sa vérité et sa domination ! Ma liste de tâches pratiques est donc un peu courte. On pourrait parler des tâches ménagères ? du soin des relations ? de la charge mentale ? On voit dans ces « facteurs » listés ci-dessus que ce ne seraient que des faibles moyens pour le changement social nécessaire ! Même s’ils sont nécessaires pour diminuer la coercition masculine et la dépendance féminine en cas de vie de couple.

Il faut donc à côté des tâches concrètes penser à un effort collectif des unes et des autres à raconter une autre idéologie sociale, énoncée ci-dessous.

***

En fait, il devient urgent de repenser notre histoire car, vue justement de la préhistoire, elle inspire irrésistiblement ce constat : les civilisations ne sont pas les amies des femmes. (P.422)

Cet appel à changer notre regard, et avec urgence ! (pour s’en convaincre, je renvoie évidemment au tableau très noir présenté dans l’article précédent), démontre l’importance de ce livre ou plus exactement de son thème de recherche.

Mais notre auteur a surtout voulu faire une démonstration intellectuelle sur un changement de méthode pour les sciences sociales… et tout autre lecteur doit s’accrocher s’il ne veut pas être perdu. Des termes techniques manquent au lexique. Il n’y a pas de bibliographie.

L’auteur s’appuie le plus souvent sur des chercheuses féminines ! Citons notamment, outre Diane Rosenfeld et Barbara Smuts citées ci-dessus, Sarah Blaffer Hrdy, Heide Goettner Adendroth et bien d’autres. Mais l’auteur auquel il réfère le plus souvent et à tous propos, c’est lui-même ! Et comme il publie beaucoup…

Une thématique qui doit manifestement être creusée davantage et arriver à s’imposer.

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