C’est un bon article de RTBF-news sur le vêtement sportif féminin, qui me permet de revenir sur ce sujet (et sur ce blog, laissé en sommeil…). Vous trouverez le lien ci-dessous.
Partons des « magazines féminins » qui sont un monument de la domination masculine déclinée au féminin. Vous devez vous habiller comme ceci, transformer votre corps comme cela, le parer et le parfumer ainsi, et vous devez cuisiner ces petits plats, et prendre au lit telle attitude pour la gloire et le plaisir de tout homme, de n’importe quel homme.
Et cet asujettissement, déclinons-le en mode, ou en prêt-à-porter, ou en défilé, bref, à tout ce qui peut faire profiter une « industrie » très masculine elle aussi.
Et cela marche ! Les magazines féminins sont achetés et lus, les modes ont du succès, les dépenses s’accroissent : c’est la servitude volontaire prolongée par les femmes, avec un sentiment pourtant de choisir, d’exercer sa liberté de s’habiller.
Remarquons qu’on trouve des magazines centrés sur des taches ménagères : cuisine, couture, tricot, soin du corps, qui sont également uniquement centrés sur un lectorat féminin. De même qu’il y a quelques tendances à créer et imposer une mode masculine, nul doute qu’on va pouvoir créer des marchés relatifs à « la cuisine au masculin » par exemple. Pour autant, le vêtement masculin fut longtemps rétif à toute variation. Très longtemps durant le XIXe siècle, les hommes furent habillés de noir (sans doute par réaction aux excès colorés de l’aristocratie avant la révolution : l’heure était à la discrétion). Ce qui a donné le concept et le slogan du « beau noir » en textile et en teinturerie. Et par la suite, on a toujours la vision d’un habillement « uniforme » pour les hommes, gris ou noir, parfois brun, souvent sombre. Le bleu métallique aussi, et le bleu est revenu à la mode avec la TV, où cette couleur « passe bien ». Et avec l’éternelle « cravate ». Même l’ouvrier ou l’agriculteur pouvait/devait « s’endimancher » avec cet uniforme pour respecter les codes sociaux imposés. Et dans les années ’60, c’est une mode « jeune » et bientôt unisexe qui a été lancée et imposée, profitant de la tendance « rebelle » de ces années. Le « Jean’s » et le « blouson » seront les vecteurs de cette tendance unisexe. Plus tard le « basket » ajouta un autre élément non genré. La « mini-jupe », par contre, fut une forme de retour à la domination masculine dans la mode, contre cet esprit unisexe. Finalement, il y a eu une certaine liberté donnée à l’uniforme masculin : col ouvert, autres accessoires que la cravate, veste souple et ne fermant pas ; liberté plus sensible dans les capitales que dans la « province ».
Je veux bien reconnaître que ce bref historique est caricatural ! Il fait l’économie des variations de période, des variations dans les accessoires (noeud pap’, lavallière, habillements de la « Belle époque » (aux inégalités sociales effarantes !). Mais l’idée d’une domination sociale dans l’habillement, domination totalement genrée (très différente dans l’esprit selon que vous êtes femme ou homme), domination portée avant tout par les hommes, persiste encore aujourd’hui. Et je ne crois pas qu’elle ait fait l’objet d’études, sauf récemment (et que je ne connais pas) : on a fait des inventaires de l’habillement, selon les périodes et selon les continents, des études descriptives de type de qu’on a fait pour les corps également, avec le temps du colonialisme et du racisme. Mais en faire l’analyse, selon les contraintes géographiques et historiques, et selon une division génrée, cela n’a pas été fréquent.
Or, il apparait que le vêtement sportif féminin est l’objet d’une incessante lutte sociale entre les genres ! C’est en tout cas ce qui apparait dans l’article de RTBF-News qu’on trouvera ici.
Les hommes ont d’abord cherché à interdire la pratique du sport aux femmes, et ensuite à leur imposer un vêtement. D’abord « uniforme » dans la décence, donc rejoignant l’imposition du vêtement masculin uniforme, mais féminisé. Ensuite progressivement érotisé mais toujours avec une certaine exigence d’uniforme (la jupette blanche au tennis). Aujourd’hui encore, les fédérations sportives (dont les dirigeants sont massivement des hommes) imposent aux femmes des normes de vêtement à leur profit, dans un but érotique le plus souvent. Si on parcourt la chronologie proposée par l’article, on constate que des pionnières ont imposé d’autres formes d’habillement et n’ont pas eu peur de faire scandale, c’est à dire de refuser l’imposition, ou simplement de jouer avec elle (ainsi le fait de porter des sous-vêtements colorés sous la jupe blanche au tennis est une affirmation de liberté, mais sans doute pas de libération féminine par rapport au regard masculin.
Je conclus en revenant au titre que j’ai donné à l’article, dont le propos est bien plus général que le sport. Il y a en fait une exigence masculine qui passe par le regard des hommes, vis-à-vis de l’habillement féminin. Ce n’est pas le cas partout : dans certaines espèces animales, notamment les oiseaux, ce sont plutôt les mâles qui sont à la parade et les femelles « en uniforme » terne ! Nos espèces simiesques (car nous sommes des singes) sont bien moins différenciés entre mâles et femelles à l’état naturel, ce qui amène à valoriser la taille et la musculation des mâles (qui s’exprime dans leur compétition entre mâles, pour ce que nous en savons). L’histoire du vêtement humain différencié, genré, est donc une histoire de perte de la naturalité, d’adoption d’une culture artificialisante.
Et le regard mâle est donc exigeant et répressif vis à vis de l’habillement féminin, et c’est une des facettes de la domination masculine. Aujourd’hui, nous sommes clivés sur « la question du voile ». Et on peut lire le voile musulman comme l’expression de l’exigence masculine dans un certain type de population. Et on peut lire les religions comme un vecteur (plus ou moins exigeant) de répression morale culturelle et sociale (venant de l’élite, du pouvoir) au sein des populations. Mais on peut voir aussi le regard masculin occidental comme une autre forme de contrôle et de répression sur l’habillement des femmes ; le voile nous prive de l’apparence érotique des femmes et s’oppose ainsi à notre domination ! (Comment faire de l’oeil à une femme dont vous ne voyez pas les formes, ni le bas du visage, qui n’est pas à la parade, qui n’est pas assujettie à notre manière ?). Et je songe à cette tendance presque obligatoire des femmes occidentales à parader dénudées : une décolleté au torse ou une échancrure à la jambe, une épaule, un dos nu, un bas du dos, une taille basse… Où se trouve la liberté dans cela ?
Dès lors, les femmes peuvent-elles s’habiller librement ? Même l’adoption d’un « uniforme » de couleur neutre, rejoint très vite le code masculin et s’en inspire. Sans doute la définition d’un code de vêtement unisexe, tel qu’introduit par les années 50, ne correspondant pas à un regard érotisé, serait une libération utile pour les femmes et tout autant pour les hommes.
Mais l’introduction d’un vêtement, tel que le jeans, est toujours une opération sociale, presque toujours convenue par l’industrie textile. La liberté individuelle est donc très restreinte. La libération est plutôt collective ! On voit dans les pays socialistes l’introduction de nombreux uniformes également, dans un esprit de libération collective en principe.
Rien n’est simple. Il n’y a pas de conclusion nette à donner, selon moi.