J’ai commenté jadis quelques « guides sur le féminisme » expliqué aux hommes. Ici c’est autre chose. C’est bien plus : interpeller les hommes à partir du féminisme, aller les chercher dans leur confort et leur dire : « on est pas homme, on le devient » et on peut donc le devenir autrement. C’est bien le projet de « Les couilles sur la table », paru chez Binge Audio, Paris, octobre 2019, 18 € seulement.
Et je me rends compte que j’ai négligé de parler de l’émission de radio en postcast développée depuis plus de deux ans par Victoire Tuaillon ! Cette émission qui offre tous les quinze jours une interview sur un aspect du masculin vu à la lumière du féminisme, auprès de personnes compétentes et pertinentes sur le sujet, est vraiment excellente ! Non seulement elle est pionnière, elle est aussi culottée que son titre « Les couilles sur la table », elle est instructive et elle donne à réfléchir. Grande qualité des interviews. Tous les quinze jours, c’est beaucoup. Elle en est au 64e épisode. Elle a 500.000 auditeurs par mois. Un travail courageux, et indispensable. Trouvez-le ici !
C’est donc une vraie négligence de ma part. Et que je m’explique mal…Et j’ai répété cette négligence avec ce livre ! Un vrai déni ! Décidément, il va falloir expliquer.
Victoire Tuaillon a lancé une souscription au printemps 2019. Voulant s’assurer d’avoir 2000 souscripteurs avant de se mettre au travail (pour pouvoir assumer l’édition sous le label de la boîte à postcast Binge Audio, qui accueille l’émission, elle en a récolté bien plus : 4200 !. J’ai donc reçu mon livre à l’automne. Et, pris par une autre lecture très dense (1200 pages austères , livre en prêt), j’ai laissé le livre traîner sur une pile. Je ne l’ai ouvert qu’en fin février, et j’ai un peu perdu la tête avec l’arrivée du confinement au moment de la fin de la lecture. Le confinement fut pour moi long et pénible pour diverses circonstances. Ma plume était plutôt en panne (un seul billet de blog sur quatre mois).
Voilà qui explique un peu le retard… mais pas le déni de deux ans ! Le déni, c’est sans doute une méfiance masculine qui ne veut pas reconnaître l’oeuvre convaincante, qui attend l’erreur ou le pas de trop d’une femme, ou encore qui espère le succès d’un homme qui « ferait mieux ». Déni inexcusable.
Or j’ai pu découvrir que ce livre a connu un important succès de librairie (elle parle de 40,000 exemplaires vendus) autant que… un insuccès médiatique : on trouve très peu de références sur le web, aucune critique développée dans les médias classiques. Quelques avis très brefs de lecteurs sur Babelio ou sur les sites de vente (Fnac, etc.). (petite recherche de presse en fin de billet, pour aller plus loin). Je pourrais citer aussi les blogs de quelques amis militants pour le féminisme et dont je ne m’explique pas le silence.
Victoire Tuaillon a donc voulu présenter une synthèse de son travail. Et par là expliciter sa démarche :
« … Ce n’est pas un point de vue personnel sur le masculin que j’aurais tiré d’observations plus ou moins inspirées de mon entourage proche. Ce livre est une tentative de synthèse des centaines de travaux – articles, thèses, essais, documentaires – concernant la masculinité, les hommes et la virilité, que j’ai eu la chance de lire dans le cadre de mon travail. » (p.9).
« S’intéresser aux masculinités, retourner le regard, c’est donc aussi remettre en question notre économie, nos institutions politiques, judiciaires, médicales, autrement dit, nos structures de pouvoir. Je crois que le féminisme n’est pas une guerre contre les hommes, mais une lutte contre ces structures qui permettent à la domination masculine de perdurer » (p.13).
Et trois grandes questions sont au centre du livre, explique-t-elle en introduction : le sens de la violence des hommes ; les stéréotypes et les injonctions viriles ; enfin la logique de domination (de genre, de classe, de « race », d’age et de sexualité) de certains hommes sur d’autres hommes.
Je ne vais pas répéter le contenu du livre (lisez-le!) de Victoire Tuaillon qui s’appuie sur des citations et références aux interviews qu’elle a travaillés et aux livres qu’elle a lus. Tache impossible : il y a une quarantaine de sections, comportant des encadrés, et une dizaine de « focus » (extraits de textes mis en évidence). Oui, le livre est très riche en idées diverses.
Au bout de la lecture, j’ai ressenti pourtant une certaine frustration. J’avais un vague souvenir de beaucoup de ses poscasts. Et au fil de mon travail de blog, j’ai aussi certaines idées divergentes avec les textes proposés… Comment expliquer ce désenchantement ?
En fait, à la réflexion, par un esprit de compétition très masculin ! Il « faudrait » rajouter telle référence ici ou discuter telle autre idée… Je ne suis pas astreint à additionner tant de ses bonnes idées et explications aux miennes, mais me suis restreint à soustraire dans une approche négative (inconsciente, malgré l’attente positive?). Il est d’ailleurs frappant de constater que je n’ai pris aucune note (ce que je fais d’habitude pour nourrir ma distance critique, pour travailler avec l’auteur et ressentir son cheminement à travers ses mots, parfois derrière la structure donnée à voir). (En fait, je viens de retrouver une ou deux objections notées à la fin de la lecture !) Je suis surtout sorti de la lecture début mars avec une motivation compétitive : écrire ce texte de livre que je construis dans ma tête et dans des notes depuis longtemps, mais dont la rédaction me fait sans doute peur. Bref, j’ai écris trois pages… et la panique de la pandémie m’a saisi et tétanisé pour longtemps. Tant que je n’aurai pas trouvé une posture modeste (non compétitive), je n’y arriverai pas.
Donc, lisez ce livre, nourrissez-vous de lui, et n’écoutez pas ceux qui font la fine bouche… comme moi. D’ailleurs, pour ma « pénitence » (sic), plutôt mon devoir d’éducation contre le déni et la compétition, je vais lire « King Kong théorie », de Virginie Despentes, que nous recommande Victoire Tuaillon (et qu’elle a longuement interviewée dans le postcast).
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Quelques liens trouvés dans la presse :
- Une interview filmée à la radio publique belge : https://www.rtbf.be/info/societe/detail_victoire-tuaillon-journaliste-de-plus-en-plus-d-hommes-se-disent-qu-ils-n-ont-pas-envie-d-etre-des-salauds?id=10368916 ;
- un portrait flagorneur (dont la photo aussi) sur Libération,
- Par la page Wikipédia, j’ai retrouve l’article du Monde : https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/10/18/victoire-tuaillon-feministe-d-utilite-publique_6015978_3246.html (tandis que rien ne ressort quand je fais une recherche sur Le Monde, Le Figaro, France Inter ou France Culture…)
- et un court moment (une minute, entrecoupée par l’homme !) sur Europe1 https://www.europe1.fr/medias-tele/victoire-tuaillon-on-a-tous-et-toutes-interet-a-avoir-des-relations-egalitaires-3929149
Bref pas grand-chose, pour un livre qui a connu une très bonne vente et de nombreux souscripteurs !
En cherchant alors sur les blogs, j’ai trouvé le témoignage d’une québecoise, https://delphinefolliet.com/2020/03/15/les-couilles-sur-la-table-par-victoire-tuaillon-dissection-des-masculinites/ et aussi d’un magazine de jeunes journalistes, https://maze.fr/2019/11/les-couilles-sur-la-table-de-victoire-tuaillon-hommes-de-tous-les-pays-questionnez-vous/
Enfin j’ai trouvé une interviewe de l’auteur sur base du livre, juste avant sa publication : https://www.20minutes.fr/societe/2634183-20191025-feminisme-guerre-contre-hommes-contre-domination-masculine-selon-victoire-tuaillon
Donc, lisez-le !